Not Naked, sorry ! {Esmée}

La cascade, en pleine journée, était remplie de fesses blanches qui barbotaient, il est vrai. Mais le soir, l'ambiance était tout autre. Certains couples s'enlaçaient sous un arbre, d'autres se baignaient encore, et certains étaient tout simplement callés entre potes. Un gars jouait de la guitare, tandis que son pote l'accompagnait à l'armonica... Les lucioles volaient, l'air était chaud, ça sentait bon le foin coupé, l'humidité et le canabis.

Thaddius était installé là, lui aussi. Allongé sur le dos un peu en recul de l'eau, il regardait les quelques étoiles visibles à travers la cime des arbres. Il souriait tout seul, pensif, bienheureux. Cela faisait maintenant quelques semaines qu'il était à Woodstock, et il s'y plaisait toujours autant. Il avait des tonnes d'amis, de frères et de soeurs. Il avait eu pas mal de maitresses et d'amants aussi.

Le jeune homme fut coupé de sa rêverie par un coup de langue dans le cou. Ark. Si certains peuvent en être offusqués voire dégouté, ça n'était pas son cas. Il accueillit son chien avec amour, l'amenant à s'allonger à côté de lui. Xyste obtempéra, bien trop content de s'installer pour une quart d'heure de caresses. Xyste était la seule chose qui gardait Thaddius attaché à sa vie d'origine, appelons ça comme ça. Il avait embarqué son chien avec lui, à Woodstock, imcapable de se résoudre à le laisser. Ce dernier ne semblait pas s'en plaindre, loin de là. Il était aussi libre que Thadd, et n'avait plus besoin de s'assoir ou de se coucher quand on le lui ordonner.

Le groupe d'amis riait un peu plus loin, partageant vraissemblablement de l'alcool. Thaddius, d'ordinaire, se serait joint à eux, en parfait squatteur. C'était ça, la communauté hippie, ça ne choquait personne. Oui mais non, ce soir, il ne squatterait pas, sans avoir pour autant de raison particulière. Il était bien, là, callé avec son toutou, sous le ciel étoilé. Il ne voulait pas pour autant être en solitude, voilà pourquoi il était dans un endroit quelque peu fréquenté. D'ailleurs, il n'allait pas rester seul bien longtemps...

Un feu-follet blond passa devant lui, lui faisant baisser les yeux. Dans l'obscurité, il peina un peu à voir les traits de cette blonde, mais son attitude trahit sa personnalité. Esmée. Son petit oisillon. Il l'appelait ainsi pour la simple et bonne raison que, dès le début du festival, il l'avait pris sous son aile. Pas hippie, elle appréciait néanmoins le mouvement, et semblait s'y intéresser de très prêt. Elle était à Woodstock, tout de même, et de sa propre initiative.
Il avait passé du temps avec elle, amicalement parlant s'entend, et rapidement, l'avait initié à cette culture, à ce mode de vie si particulier et si coloré. Sa petite protégée, en somme. La petite soeur qu'il n'avait jamais eu, et n'aurait jamais. En 1969, les femmes ne pouvaient pas encore faire d'enfants jusqu'à 60 ans et des poussières. Âgée de 51 ans, sa mère n'aurait qu'un fils unique, et quel fils !

"Salut toi !" lança-t-il à son amie, tout sourire, en callant un bras derrière sa tête pour la voir davantage et lui parler d'une façon plus polie. C'était le bras qui caressait Xyste qui, délaissé, alla se frotter à Esmée.
"Quel caractériel ce chien, quand il s'y met..." plaisanta Thaddius, tout en invitant la jeune femme à partager son coin d'herbe verte.

Plus tôt dans la soirée, il avait annoncé à quelques potes qu'il serait probablement à la cascade ce soir, au cas où quelqu'un le chercherait pour une virée en ville ou autre... oui, pas encore de téléphone portable non plus. Avaient-ils quelque chose de prévu, Esmée était-elle le messager du groupe, ou venait-elle simplement tenir compagnie à son ami ?

[J'avais pas trop trop décrit la scène comme ça, m'enfin bon Thadd est allongé, c'est toi qui arrive parce que tu sais qu'il est là. Mais c'est pas grave, continuons ]


Esmée était affectueuse. Tous les hippies étaient affectueux. Ils s'embrassaient, se caressaient les cheveux, s'envoyaient des baisers avec leur main... Si Thaddius n'était pas habitué à ça chez lui, il avait bien été forcé de prendre le train en marche ici. Thaddius et Esmée étaient calins entre eux, ainsi que complices. Aucune arrière pensée, il savait que ses petits baisers n'étaient que fraternels. Et quand il lui prenait la main, c'était dans le même esprit. Et quand ils dormaient ensemble, pareil. C'était plutôt agréable d'avoir au moins une relation sans ambiguité ni frivolité.

La blondinette caressa Xyste, le chaleureux. Elle s'installa ensuite aux côtés de son ami, et Xyste, cessant de bouder, s'assit entre eux deux. La place idéale pour deux fois plus de caresses. Thaddius s'était finalement assis en tailleur, et voyait un peu mieux la scène qui s'offrait à lui. Les nageurs, il les voyait s'éclabousser, au lieu d'être seulement bercé par le bruit de l'eau. La bande de potes qui animait la nuit avec des notes de musiques joyeuses étaient assis en cercle, et chacun avait une bouteille de bière devant soi. Ou deux, pour certains... Dans peu de temps, surement, ils se jetteraient à l'eau, ivres morts. C'était fréquent, à Woodstock, ce genre de comportement. Thaddius y avait déjà eu droit quelques fois, d'ailleurs... la seule chose négative était le mal de tête du lendemain, mais l'herbe l'aidait de ce côté là.

Il reporta ensuite son attention sur Esmée, son interlocutrice ce soir.
"Ouais, on va dire ça... même si je ne suis jamais vraiment seul, en fin de compte..." Il montra d'un signe du montant la grosse boule noire et poilue qui haletait à coté d'eux, leur tenant chaud sans que cela n'ai été necessaire avec ce temps estival.

"J'avais pas envie de me méler aux autres, je regardais les étoiles. Pour un soir où je peux les voir... pas de vue trouble à cause de l'alcool ou de la fumée, pas de projecteurs qui illuminent le ciel... c'est agréable. Viens, allonge-toi. Je sais qu'on les a tous vu milles fois mais... je sais pas. Même le ciel semble plus beau ici..."
Sur ces belles paroles pleines de philosophie hippie, Thaddius s'allongea à nouveau, à côté de son amie (et de son chien, toujours), dans la même position qu'un peu plus tôt. Ceux de la bande riaient forts, mais personne n'allait s'en plaindre. Le rire, ici, était contagieux plus que dérangeant.
Esmée ne tarda pas à l'imiter.

"Et toi, tu as fais quoi avant de venir me voir ?"